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« Un établissement unique en France »

Lycée Toulouse Lautrec - Interview de Chine Thybaud
Publié par Bourgueil Karelle le 16/12/2022

Victoire fait son entrée en première au lycée Toulouse Lautrec, un établissement qui accueille aussi bien des élèves valides qu’en situation de handicap. Chine Thybaud interprète cette adolescente de 17 ans, propulsée dans un nouvel environnement et confrontée à la différence.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Dès la lecture du premier épisode, j’ai trouvé le scénario très bien écrit avec des dialogues intelligents et sans cliché. Le langage des jeunes peut très vite être caricatural. Parler de l’adolescence est compliqué mais encore plus couplée au handicap. Lycée Toulouse Lautrec offre une représentation plus fine des adolescents que celle que l’on voit habituellement à l’écran.

Quelle première impression donne Victoire ?
Au début, on ne l’aime pas beaucoup ! Elle se montre incisive et agressive mais ce comportement cache une grande fragilité. Au sein de sa famille, Victoire est toujours passée après son frère épileptique, considéré comme un « miraculé » depuis sa naissance. Elle s’est donc construite en dehors de chez elle, avec les réseaux sociaux, ses copines et son petit ami qu’elle a du mal à quitter. Non seulement elle change de lycée, mais elle arrive dans un établissement particulier où elle se retrouve confrontée à la différence, au handicap parfois lourd. A cela, s’ajoute le divorce de ses parents et le départ de son père avec une femme plus jeune. Il y a un mélange d’incompréhensions, de colère et surtout un besoin que l’on s’intéresse aussi à elle.

Elle se montre particulièrement dure avec les autres élèves. Comment l’expliquez-vous ?
Sa colère n’est pas tant liée au fait d’avoir intégré un établissement avec des personnes en situation de handicap mais plutôt à celui de ne pas avoir été consultée. On l’a déracinée du seul endroit où elle avait construit sa vie pour l’emmener en banlieue, dans un environnement inconnu. S’il s’agissait d’un lycée classique, son comportement serait finalement le même.

Quel rapport entretient-elle avec sa mère ?
Leur relation est conflictuelle. Victoire a un gros caractère et sa mère également. Elles partagent une certaine complicité mais comme sa fille sait se gérer seule, elle y fait moins attention et Victoire lui en veut. Elle aimerait plus de signes d’affection de sa part.

Comment vous êtes-vous préparée à jouer ce rôle ?
J’ai tout d’abord rencontré Fanny Riedberger qui est à la fois la scénariste, la productrice et la coréalisatrice des deux premiers épisodes. Elle a été scolarisée pendant 3 ans au lycée Toulouse Lautrec et la série est inspirée de sa vie. On a beaucoup échangé. J’ai pu rencontrer certains comédiens et fait plusieurs essais avec eux. Puis il y a eu une semaine entière de répétition dans le lycée où j’ai fait la connaissance du personnel et des élèves actuellement scolarisés là-bas. Pendant tout le tournage, le lycée était en fonctionnement. La quasi-totalité des figurants sont des élèves ou d’anciens élèves. Certains personnels soignants ont également participé à la série. On a appris à cohabiter et finalement, quand j’arrivais le matin, j’avais tout simplement l’impression d’aller au lycée ! Cette immersion dans le réel se ressent dans la série. L’établissement Toulouse Lautrec est unique en France et montré comme il est au quotidien.

Comment s’est passée votre collaboration avec la bande de jeunes comédiens ?
Je connaissais très bien Abraham Wapler qui interprète Jules, le fils du proviseur, c’est l’un de mes meilleurs amis. J’avais tourné avec Adil Dehbi, qui joue Reda dans Tout nous sourit, mon premier film. J’ai rencontré les autres lors des deux semaines qui précédaient le tournage, notamment Ness Merad avec qui mon personnage a la relation la plus importante. Ce tournage a été compliqué, épuisant, mais il n’y a pas eu de conflits. Tout le monde s’est bien entendu. On était très solidaires.

Et avec les acteurs plus expérimentés ?
J’avais déjà partagé 30 jours de tournage avec Stéphane de Groodt sur Tout nous sourit dans lequel il jouait mon père. C’était rassurant de tourner avec un grand comédien que je connaissais. Surtout pour notre première scène où Victoire se fait réprimander dans le bureau du proviseur après avoir posté une vidéo. Même si elle est intimidée, je me sentais à l’aise car je savais Stéphane bienveillant. J’ai rencontré Valérie Karsenti sur le tournage. Sa douceur m’a marquée. J’ai eu un vrai coup de cœur ! Elle est humble, bosseuse et généreuse dans son jeu. Elle est franchement épatante et très talentueuse. Rayane Bensetti interprète un surveillant mais il aurait pu faire partie de notre bande ! Même si on le voyait moins car il est surtout présent dans les derniers épisodes, il était drôle, blagueur et très proche de nos délires.  

Quelle scène avez-vous pris le plus de plaisir à jouer ?
Une séquence m’a particulièrement marquée car j’ai vu Ness Merad, qui joue Marie-Antoinette, s’abandonner totalement et lâcher prise. La scène a lieu dans un couloir du lycée. Marie-Antoinette évoque avec Victoire son rêve d’histoire d’amour et lui dit qu’elle a conscience de ne jamais pouvoir la vivre. Ness s’est mise à pleurer en continuant à parler alors que ce n’était pas du tout précisé dans le scénario. J’ai senti les mots de Marie-Antoinette se mêler aux siens et les larmes me sont aussi montées aux yeux alors que j’étais sensée lui lancer une réplique plutôt drôle ! Les caméras ont continué à tourner et on sent l’étonnement de Valérie Karsenti quand elle intervient dans la scène.

Le sujet du handicap est peu abordé dans les fictions. Quel impact une telle série peut-elle avoir ?
Au fil des épisodes, on finit par oublier le handicap. J’avais eu la même sensation en regardant le film Intouchables. On s’aperçoit très vite en suivant les histoires de Lycée Toulouse Lautrec que la cohabitation entre les élèves est plus que possible. La série montre l’importance des établissements mixtes. Ce n’est pas normal que 99% des lycées ne soient pas accessibles aux personnes en situation de handicap et qu’ils soient réunis dans des établissements spécialisés. Cette mixité dès le début de la scolarité permettrait une meilleure appréhension de la différence.

La série a été récompensée au Festival de la Rochelle. Qu’avez-vous ressenti ?
J’étais très heureuse car ce n’est que mon troisième projet en tant que comédienne. Je n’ai pas suivi de formation et voir récompenser une œuvre pour laquelle j’ai fait un travail conséquent m’a permis de me sentir légitime pour la première fois. Depuis ce prix, j’ose enfin dire que je suis comédienne !