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Précédente diffusion : 02/03/2024 à 23:05 sur TMC

« Nous ignorons ce que nous réservent les mois à venir »

Publié par Vincent Vanessa le 05/02/2024

Le constat de Patrice Douret, Président bénévole des Restos du Cœur, est sans appel : « L’aggravation de la pauvreté déjà constatée durant la crise sanitaire s’est poursuivie avec l’inflation, frappant brutalement et massivement des publics déjà fragilisés, sur tous les territoires. Après avoir distribué pas moins de 171 millions de repas lors de la précédente campagne et accueilli 1,3 million de personnes, l’association constate que la vague ne faiblit pas. Pour autant, grâce à la mobilisation extraordinaire de ses 73 000 bénévoles, les Restos du Cœur refusent toute fatalité ou résignation. Rencontre.

Le 3 septembre, vous lanciez un cri d’alerte sur le plateau du JT de 13H de TF1. Dans quelle situation se trouvent actuellement les Restos du Cœur ?
Nous sommes rassurés sur la situation des Restos du Cœur concernant l’exercice en cours. Notre appel a été entendu. Les Français sont toujours généreux et fidèles à notre association. Cette marque de confiance nous honore et en même temps, cela nous oblige à songer à l’avenir et à envisager plus sereinement les prochaines années. En revanche, rien n’est gagné puisque cette vague de précarité ne faiblit pas et que nous avons toujours plus de personnes qui se présentent à nos portes.

La situation reste donc critique, malgré tout…
Absolument. La situation est complexe car nous ignorons ce que nous réservent les mois à venir. Nous n’avons jamais connu une augmentation aussi rapide et aussi forte de la précarité et de personnes qui frappent à la porte des Restos du Cœur. Il convient même de ne plus parler de précarité, mais de pauvreté. Près de 40% des personnes accueillies n’ont plus rien pour vivre une fois leurs charges locatives réglées. C’est une vraie préoccupation car ces situations dramatiques sont amenées à perdurer.

Que demandez-vous aux forces politiques et économiques en ce début d’année ?
Il ne faut rien lâcher. Notre alerte du mois de septembre a créé un électrochoc. Aujourd’hui, personne ne peut ignorer la situation que traversent des millions de Français dans notre pays. Si les pouvoirs publics ne prennent pas des mesures structurelles pour combattre la pauvreté à la racine et éviter que trop de personnes aient besoin de recourir aux associations de solidarité, nous aurons à la fois à gérer une augmentation massive de la pauvreté, mais aussi à aider des associations qui ne tiennent plus debout pour des raisons financières et opérationnelles.

Quel est le profil de celles et ceux qui poussent aujourd’hui vos portes ?
Nous notons une évolution importante sur tous les profils. Nous accueillons encore plus de seniors, d’étudiants, de jeunes, de familles monoparentales depuis plusieurs mois et ce, sur tous les territoires. 50% des personnes accueillies ont moins de 25 ans : c’est trop ! C’est une grande source d’inquiétude car si nous ne les aidons pas plus massivement, ces jeunes resteront pauvres tout au long de leur existence et ne décrocheront pas des associations de solidarité. C’est une spirale sans fin. Cela est terrible car cela signifie que lorsqu’on naît pauvre, on reste pauvre. Le chiffre le plus marquant pour nous - qui était déjà très haut - est celui concernant nos 126 000 jeunes enfants de moins de 3 ans. Les bébés d’aujourd’hui seront les adultes de demain aux Restos du Cœur.

Comment analysez-vous les effets de l’inflation sur ces publics déjà fragilisés ?
On évoque aujourd’hui une inflation qui aurait tendance à stagner, mais ce n’est pas pour autant que les prix, notamment alimentaires, vont baisser. Qu’en sera-t-il demain ? Nous n’en savons rien. Même si quelques voyants sont au vert, les prix sont toujours aussi élevés et nous ne reviendrons pas à ceux que nous connaissions il y a deux ans. N’oublions pas que cette dégradation est là. Si la situation va peut-être arrêter de s’aggraver, elle reste préoccupante. Trouver des solutions en travaillant sur la lutte contre la pauvreté à la racine est la priorité. Aux Restos du Cœur, la nôtre est  de retrouver un équilibre financier et opérationnel qui nous permette le plus rapidement possible de retrouver un niveau d’activité optimal, attendu par ceux qui comptent sur nous, tout simplement.

Y-a-t-il des territoires plus touchés que d’autres ?
Toutes les régions sont impactées. En revanche, certaines sont plus touchées que d’autres. C’est le cas des Hauts-de-France, de l’Île-de-France, de la région PACA, mais aussi de l’Occitanie. Nous ne notons pas de différences entre milieux urbains et ruraux car tous les territoires sont concernés et nos 112 associations départementales sont toujours sur le qui-vive. En milieu rural cependant, les frais de transport et les temps de trajets rendent nos missions plus complexes. Heureusement, nos 58 centres itinérants sont opérationnels pour aller à la rencontre de ceux qui rencontrent des difficultés à se déplacer. En ville aussi, nombreux sont ceux à souffrir de l’isolement et du cumul des dépenses obligatoires pour vivre. Ainsi, le rôle de nos 73 000 bénévoles demeure essentiel. Si ce chiffre peut paraître important, il est, en fait, insuffisant. Nous avons besoin de renouveler et de recruter en permanence. C’est un véritable enjeu pour les Restos du Cœur dans les années à venir : pouvoir continuer à renforcer nos équipes. Au-delà de l’aspect financier qui semble un peu plus rassurant cette année, il y a toute la dimension organisationnelle des Restos du Cœur à réinventer. Nous devons nous adapter et trouver notre rythme face aux besoins actuels. Nous mettons donc le pied sur le frein financier et opérationnel le temps de nous reconstruire et d’adapter notre modèle.

Les Restos du Cœur restent inhérents aux Enfoirés…
Cette année, les Enfoirés retrouvent la scène de l’Arkea Arena de Bordeaux où ils s’étaient déjà produits en 2019. Ils demeurent essentiels pour les Restos du Cœur. L’an dernier, tous ces artistes bénévoles ont permis de récolter 13,4 millions d’euros pour l’association. Cette année, plus de 600 personnes travaillent à l’organisation de cette 35e édition qui sera l’occasion de rappeler toute l’histoire des Enfoirés, depuis ses débuts en 1989. L’entité Enfoirés représente 8 à 10% de nos ressources financières, ce qui demeure très important. Leur fidélité et leur engagement auprès des Restos du Cœur est formidable. Nous espérons que ce spectacle intergénérationnel rencontrera l’immense succès qu’il mérite lors de sa diffusion télévisée.

Focus sur l’antenne de la Gironde

« Sur le territoire girondin, nous avons accueilli 23% de personnes supplémentaires l’an dernier. Nous dresserons un bilan en fin d’année car la campagne d’hiver a juste débuté, mais ces chiffres sont très élevés, explique Françoise Casadebaig, Présidente de l’association départementale. 1 470 bénévoles très investis œuvrent sans relâche au quotidien sur cette antenne très importante. Si nous vivons des moments difficiles, il n’y a aucune démotivation, bien au contraire ! 200 bénévoles supplémentaires ont ainsi rejoint Les Restos du Cœur, en un an. Au-delà de la distribution alimentaire, il y a naturellement l’aide globale à la personne. Sur le département de la Gironde, nous mettons particulièrement l’accent sur le soutien à la recherche d’emploi et de logement. La venue des Enfoirés est évidemment très importante pour nous. Elle met en relief l’ensemble de nos activités. C’est aussi  un beau moment pour nos quelque 370 bénévoles qui participent de près ou de loin à l’organisation de cet événement. Sans leur appui exceptionnel, rien ne serait possible », conclut Françoise Casadebaig.

QUELQUES CHIFFRES CLÉS (2022 - 2023)

1,3 million de personnes accueillies, dont 126 000 jeunes enfants de 0 à 3 ans.

2 333 lieux d’accueil Restos du Cœur.

171 millions de repas distribués.

38% des familles accueillies n’ont plus rien pour vivre une fois leurs charges locatives payés.

73 000 bénévoles réguliers + 25 000 bénévoles occasionnels.

58 centres itinérants.

100 chantiers d’insertion et 1 association intermédiaire.

2,06 millions de contacts auprès des gens de la rue.

1 079 personnes hébergées en urgence.

6 908 personnes accompagnées dans leurs recherches d’emploi.

5 636 départs en vacances.

119 522 personnes accueillies sur les activités d’estime de soi.

896 espaces livres.
 

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